"L’entreprise Mosset," Bernhard Fibicher
in Olivier Mosset, Editions des Musées cantonaux, Sion, 1994, pp. 25-27 (publication éditée à l’occasion de l’exposition d’Olivier Mosset au Musée cantonal des beaux-arts de Sion, Arsenal de Pratifori, du 14 septembre au 30 octobre 1994).

"[...] Les barrages anti-char appelés communément, de par leur analogie formelle avec un chocolat suisse bien connu, "toblerones" servent à établir une frontière temporaire entre deux armées antagonistes. Ces blocs volumineux, réalisés en carton [et en bois] (notons au passage que l’utilisation de ce[s] matériau[x] n’est pas exempt d’ironie), tentent de résister aux projectifs visuels déchargés par ceux qui sont venus dominer l’espace d’exposition. Installés en plusieurs rangées [...], précisément sur la trajectoire du regard des spectateurs et conformément aux prescriptions militaires (la surface la plus inclinée doit former un angle de 30° par rapport à la direction des tirs de l’attaquant, afin que les projectiles soient déviés latéralement [...]), ces volumes forment non seulement une barrière visuelle, mais encore une limite que tout esprit conquérant est appelé à franchir. La morphologie même des "toblerones" veut que le regard, glissant sur ses pans inclinés, n’ayant pas de prise sur sa structure "cristalline", soit constamment dévié.[...]" "Les "toblerones" [...], volumes à sept plans (visibles) basés sur le triangle, clos sur eux-mêmes, boîtes fermées, hautes comme un homme (180 cm), sont [...] des objets qui dévient le regard sur leurs voisins et l’espace environnant. Les sculptures de Mosset introduisent donc des paramètres qui ne sauraient être explorés dans et à travers la peinture. Elles font également référence à d’autres "prototypes", à des sculptures minimales des annÈes [19]60, [...] de Tony Smith (pour les "toblerones" cf. son ensemble Ten Elements) [...]. Contrairement [...] [l’] artiste[s] américain[s] que nous venons de mentionner, Olivier Mosset ne crée pas consciemment des formes abstraites, mais il découvre des volumes qui intéressent son regard imprégné par l’aventure de l’abstraction. Si l’on veut, c’est le principe du pittoresque appliqué à l’abstraction tridimensionnelle à ce qu’un critique américain a appelé, par analogie avec "objets trouvés", "abstraction trouvée" (found abstraction). En effet, les volumes ne sont pas des objets trouvés, mais en quelque sorte des objets perdus, retirés du monde des objets réels pour rentrer dans le monde visible. Si le travail du peintre consistait à choisir un support, un format et une couleur (parfois deux couleurs, mais jamais plus de deux, ou deux tons), celui du sculpteur paraît plus réduit encore: le choix d’une forme est lié la plupart du temps à celui d’un matériau donné et de dimension standard; il ne reste plus qu’à les faire correspondre un espace, voire un site. Sous son aspect presque "scandaleusement" minimal, le travail de Mosset possède en réalité des dimensions quasi-titanesques, au point qu’il nous parait guère exagéré de parler de l’"entreprise Mosset". [...]"